C’est quoi le Taichi Chuan ? – Quelque points essentiels à retenir

Le Taiji Quan (Taichi Chuan) est un art martial.

De nombreuses légendes racontent les exploits de grands maîtres, nous laissant l’espoir qu’un jour nous pourrions, nous aussi, scotcher les gens contre les murs en claquant des doigts, “puisqu’une grande souplesse engendre une grande dureté”…

« Le Taichi Chuan est à la base un art martial » — Je vois beaucoup de gens massacrer cet art sous ce concept en l’assimilant à un kick-boxing exotique.

Entre gestuelle mollasse inconsciente et gesticulation chaotique furieuse, la ficelle de martialité est quasiment invisible pour les non-initiés.

En même temps, ce même concept en a sauvé beaucoup. En cas de problème, sans quitter totalement le monde martial, on peut retourner sa veste à tout moment pour le développement personnel, thérapeutique ou spirituel.

Cela a créé parallèlement, une espèce de parachute doré permettant aux pratiquants d’autres disciplines déchus et fatigués de se convertir en interne afin de s’y recycler…

En choisissant cet art d’une grande souplesse, le pratiquant se heurte aujourd’hui à deux dilemmes majeurs :

Travailler lentement encore et encore et y aller progressivement pour réussir un jour à être plus fort…, et on attendra toujours.

On a beau devenir plus fort, on trouve toujours plus fort que soi.

Les anciens pratiquaient cet art car leur vie en dépendait. Donc forcément, il y avait obligation de résultat.

Ils savaient que ce travail chronophage était et est toujours le moyen le plus rapide, le plus sûr, pour que le plus faible arrive à terrasser le plus fort. Le but de cet apprentissage n’est pas de devenir fort, mais de redevenir résolument normal.

N’être ni fort ni faible, mais normal — c’est le seul état qui transcende le rapport de force.

Être normal, ça se travaille et demande de la précision et de la méthodologie.

Sachez que toutes les consignes de base sont directement liées au combat.

Il ne faut pas combattre librement. Faire face à une situation sans règles avec aucune mesure ou dispositif est suicidaire. On doit faire en sorte que le combat soit mesuré et codifié à notre avantage, sans que l’adversaire ne s’en aperçoive.

C’est en cela que consiste la pratique d’arts martiaux. Certes, le chemin est long, mais ça vaut le coup d’essayer.

Fajin

Qui dit Taichi martial dit Fa jin (发劲), qui se traduit littéralement par « émission de la force » et interprété comme « explosion ou projection de la force ».

La définition du fa jin dans le milieu fermé en est toute autre et relève d’un secret professionnel que je ne partage qu’avec mes élèves qualifiés.

Pour vous donner une idée, sans entrer dans les détails, le fonctionnement du fajin des arts internes s’apparente au cycle de combustion d’un moteur.

De l’air (souffle) et du carburant (Qi) y sont mélangés et comprimés par un piston (mécanisme du jin, force interne), après quoi l’explosion du mélange est déclenchée au moyen d’une étincelle (Yi, intention) sous l’effet de la haute pression en libérant de l’énergie.

Dans la forme, cette libération explosive de l’énergie est exprimée de manière différente selon les styles :

le Taichi Chen met en exergue la force visible apparente (Min jin, 明劲, la frappe à distance moyenne), quant au style Yang, la force invisible (An jin, 暗劲, la frappe à distance très réduite).

Quelqu’en soit le style, la finalité est de cultiver la force de transformation (Hua jin, 化劲, la frappe à distance quasiment zéro, ou complètement zéro « 冷劲 »). (一是明劲,二是暗劲,三是化劲).

Le Taichi Chuan qui s’exécute avec une extrême douceur exprime le côté « An jin » ou « Hua jin ».

Il s’agit de la forme la plus aboutie qui soit.

Plus elle est douce, plus elle est inaccessible en son essence aux non-initiés.

cf.: Effet compresseur pour la libération explosive de la force interne L’étape préparatoire indispensable à la réalisation du fajin

C’est quoi le Taichi Chuan (Taiji Quan) ?

C’est un art de la communication ou un art du négoce équitable.

En arts martiaux internes, nous ne nous définissons que par notre relation à l’autre.

Nous considérons que c’est par cette relation que notre identité est constituée, ce qui fait que nous ne pouvons pas exister à l’état isolé.

Cela impose une capacité d’interagir d’égal à égal avec l’autre, une capacité de communiquer avec assertivité.

D’où vient l’importance de développer la force d’écoute (Tin Jing). On y entend non seulement deviner l’intention de l’adversaire, mais lui faire miroiter ce qu’il pourrait obtenir, et plus encore, lui faire croire que cela lui est possible.

L’Homme est amené à poursuivre ce qu’il croit avoir entrepris de lui-même et ne peut s’opposer à ce qu’il veut.

Si vous réussissez à entretenir un échange équitable avec votre adversaire, ce dernier n’éprouvera pas le besoin de vous résister.

Devant une invitation/proposition lancée en bonne et due forme, en échange de monnaie sonnante et trébuchante, votre adversaire n’y voit aucun inconvénient et acceptera de son plein gré ce que vous avez décidé qu’il fasse.

Ainsi, vous allez aider votre adversaire à courir à sa perte et à s’effondrer sous votre coup de grâce.

Pourquoi si lentement ?

Taichi Chuan = Chorégraphie au ralenti !? 

La plupart des néophytes en rigoleraient. Cela m’est foutrement égal.

Travailler au ralenti, c’est apprendre à recueillir en continue autant d’informations que possible et à éliminer tous les facteurs fortuits afin de tracer l’unique trajectoire nécessaire.

L’apprentissage traditionnel, comment se passerait-il ?

Plus nous avançons dans notre apprentissage du Taiji Quan traditionnel (ou autres arts internes), plus nous serons confronté à des aspects incohérents de la forme (enchaînement). Je ne parle pas ici du décalage par rapport à la réalité du terrain, mais aux principes fondamentaux basés sur les lois de la nature.

Pour évoluer dans la voie martiale traditionnelle, le pratiquant doit répéter rigoureusement la forme pendant plusieurs années de noviciat, sans aucune interprétation personnelle.

Puis viendra le moment, selon le niveau d’avancement :

D’apprendre à observer son incohérence (niveau externe confirmé)
D’analyser la corrélation cohérente de la partie basse du corps au regard de la partie haute
et de la partie haute au regard de la partie basse,
De travailler sur la coordination du haut et du bas du corps au regard de l’équilibre général (niveau interne)
D’y incorporer les circuits de la force interne “jing” (niveau interne)
De contrôler le Qi afin de décupler le jing (niveau interne confirmé)
De continuer à travailler en connaissance de cause de tous les processus cités ci-dessus.

Là, j’entends de suite la première réaction typiquement occidentale :

Mais pourquoi se faire ch… à apprendre ces trucs incohérents ?

Et pourquoi ne pas pratiquer quelque chose de cohérent dès le départ ?

La réponse est simple :

Pour comprendre le pourquoi du comment.

Travaillez avec une œuvre achevée et vous serez une œuvre abandonnée.

Quelles sont les astuces pour mener à bien notre apprentissage ?

1. ne pas abandonner
2. ne pas s’emballer trop vite
3. ne pas s’attacher aux apparences (détails)
4. ne pas chercher des résultats tangibles
5. continuer inlassablement

Si notre conscient s’emballe trop à tort et à travers, notre potentiel latent ne se manifeste pas. Lorsque notre moi actuel (conscient) est mis en avant, notre potentiel latent (subconscient) se replie en réserve.

Lorsque le but, processus, actions consécutives… sont clairement définis dès le départ et sans surprise, il n’y a pas d’essor explosif.

C’est un peu comme si nous nous étions fixé un défi atteignable pour qui-nous-sommes-maintenant, en refermant derrière nous, toutes les portes possibles pour qui-nous-pourrions-être.

Tout se déroulera peu ou prou tel que nous l’avons imaginé et il n’y a pas de miracle. Même un robot serait capable de faire un tel travail.

Nous ne pourrions, par conséquent, jamais nous dépasser ni découvrir de quelle étoffe nous sommes faits.

Ce qui nous fait vivre une profonde transformation intérieure, ce sont des choses dont le but et la portée dépassent notre compréhension actuelle.

Faut-il absolument avoir un Maître ?

Cela dépend de ce que vous cherchez, mais la réponse est “Oui”.

Les arts martiaux nous font rejoindre l’absolu dans l’instant et pour cet instant que nous nous entraînons tous les jours.

Quelle que soit la situation dans laquelle nous sommes, il faut impérativement trouver un moyen d’agir et d’échapper à la mort.

Et il n’y a qu’un seul moyen pour y arriver : ne nous focaliser que sur la mort.

La vie est multiple, tandis que la mort est unique. Si nous parvenons à échapper à la mort, nous resterons toujours du côté des vivants. Pour cela, il faut avoir coutume de voir dans l’absolu ce qui ne va pas chez nous.

Il est très difficile de le voir tout seul, car ce que nous voyons n’est qu’une illusion de notre esprit séparé de l’absolu.

Inutile de voir ce qui va chez nous, car, en dehors de flatter notre égo, cela ne résout rien, d’autant moins qu’un adversaire ne s’appuie pas sur le reflet de notre illusion.

Nous avons donc besoin d’un oeil extérieur.

Mais pas n’importe lequel, car pour un oeil lambda non averti, tout peut paraître correct comme tout peut paraître faux.

D’où l’importance d’avoir quelqu’un de fiable qui sait dire exactement ce qui ne va pas chez nous et expliquer pourquoi.

Notre chance de survie augmente, non en renforçant nos points forts, mais en éliminant nos défauts.

C’est pour cela qu’il faut absolument avoir un Maître issu d’une lignée authentique, et ça n’a vraiment pas de prix.

Quant à nous les enseignants, il est de notre devoir d’assumer la responsabilité de protéger et de transmettre nos valeurs que nos ancêtres ont courageusement endossée en payant souvent le prix le plus fort.

Est-ce que le Taichi Chuan est vraiment à la portée de tous ?

Pour le pratiquer, on n’a pas besoin d’être ni athlète né, ni sportif, ni praticien de médecine douce, ni yogi…
Vous pouvez mener à bien votre apprentissage si vous avez suffisamment :
– de force pour manipuler votre souris d’ordinateur.
– de talent pour passer un permis de conduire (ou une potentialité équivalente).
– d’aptitude pour être à même de privilégier la pratique à la théorie — Hélas, c’est là où bien des gens échouent.

Plutôt que de se jeter dans un courant d’eau et gigoter du mieux qu’ils peuvent, ils préfèrent d’abord rester sur la berge et regarder les autres patauger en espérant pouvoir calibrer leur travail personnel.

Baignés dans un épais scepticisme ou dans la peur du ridicule, certains me disent d’un air contrarié, “Je n’y arrive pas, car il faut que je comprenne d’abord à quoi servent ces exercices…” (J’ai l’impression que l’on me demande à quoi sert la vie humaine au lieu de la vivre.)

Que l’on ait du mal à comprendre le pourquoi des exercices proposés, c’est normal car pour saisir le sens du travail, il faut voir le processus de l’apprentissage d’une perspective plus vaste. Aucune chance en tous cas d’y parvenir, faisant l’étalage de ce que l’on fait ou de ce que l’on a fait ailleurs, ou si l’on n’a d’attention que pour ce que l’on veut voir ou entendre.

La grande contribution de nos exercices, au-delà de leurs apparences extérieures, est justement ce qu’ils offrent en retour. A l’image d’un apprentissage du vélo, chaque chute instille, par tout ce qu’il se passe dans le corps, une pensée, un comportement ou un état d’esprit différent. Et une fois réussi, ça ne s’oublie pas.

Les mots ne communiquent pas la connaissance. Chaque personne qui emploie un mot lui donne un sens quelque peu différent de celui qu’une autre personne peut lui accorder. Seules les expériences vécues le peuvent.

Je reviens à la question, si je dois y répondre, “Est-ce que le Taichi Chuan est vraiment à la portée de tous ?” ― Peut-être pas.

Les 10 Principes Essentiels du Taichi Chuan

1. Être vide et agile et maintenir l’énergie au sinciput
2. Rentrer la poitrine et étirer le dos
3. Relâcher la taille
4. Distinguer le « vide » et le “plein”
5. Lâcher les épaules et laisser tomber les coudes.
6. Employer l’intention au lieu de la force.
7. Relier le haut et le bas
8. Unir l’intérieur et l’extérieur
9. Lier les mouvements sans interruption
10. Rechercher le calme au sein du mouvement

C’est une traduction des principes essentiels laissés par l’illustre grand-maitre Yang Chengfu.

Beaucoup d’enseignants de Taiji Quan prennent ce texte comme référence pédagogique.

Tous ces principes sont simples, laconiques, pertinents, mais abstraits comme une vue à 1000 kilomètres de haut. L’interprétation restant donc arbitraire, le niveau de compréhension varie selon la maturité du lecteur.

Pour comprendre et faire comprendre aux élèves les enjeux qui en découlent, il faut faire un zoom avant pour obtenir une vue plus rapprochée à la pratique.

Plus on grossit l’image, plus le nombre de détails (informations) augmente. Le fait de rassembler des informations précises et concrètes dans la pratique, puis de rechercher leurs corrélations entre elles confère une vision plus englobante. Et cette dernière interpelle une légitimation au respect absolu des plus petits détails.

La boucle sera bouclée.

En jouant sur cet ascenseur de visions, une simplicité des choses se rapporte à une notion complètement inattendue en lien avec la motricité fine et complexe d’arts martiaux internes, enfouie sous plusieurs strates de connotation qui se superposent, se croisent et se contredisent, créant ainsi une trame singulière d’approches entre esprit, énergie et matière.

L’enseignant, de par son expérience, se droit de mettre en évidence les chemins à suivre pour que les élèves puissent établir eux-mêmes un lien de cause à effet entre les détails aussi insignifiants qu’ils puissent paraître et les visions les plus englobantes, les principes fondamentaux.